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Lettre ouverte aux députés de ma ville

novembre -1 modifié dans Mouvement du Libre en général
(Pas sûr de poster dans le bon forum, mais on fera avec.)


J'ai écrit aujourd'hui une lettre ouverte (publiée sur mon site et envoyée directement) aux députés de Lyon et de Villeurbanne (pour ma part, je suis électeur villeurbannais). Je me suis dit que ça pourrait vous intéresser, même si ce n'est pas d'une originalité folle… (Hum, quelqu'un a dit originalité ?)

Je mets le texte intégral, pour ceux qui n'ont pas envie de cliquer sur un lien ;)
À l'attention de : Mme Anne-Marie Comparini, Mme Nathalie Gautier, M. Jean-Michel Dubernard, M. Emmanuel Hamelin, M. Christian Philip – députés du Rhône pour Lyon et Villeurbanne.

OBJET : Vote final de la loi DADVSI (droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information)


Mesdames, Messieurs,

J'ai l'honneur de vous écrire en vue du vote définitif de la loi DADVSI (droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information), prévu pour le vendredi 30 juin dans l'après-midi.

Je voudrais, en tant que citoyen français, vous appeler solennellement à voter CONTRE ce projet de loi, pour diverses raisons que je vais tâcher d'expliquer.

Il y a certes une nécessité de transcription de la directive européenne EUCD. Rejeter une loi permettant de la transcrire constituerait, dans une certaine mesure, un échec. Cependant, la loi DADVSI ne correspond que partiellement à cette directive, et a été l'occasion de divers ajouts et innovations – hélas rarement dans le sens de l'intérêt général. Rejeter la loi DADVSI ne serait donc pas un rejet de la directive EUCD (qu'il reste possible de transposer a minima), mais aussi et surtout un rejet d'un certain nombre de dispositions dangereuses pour l'intérêt général.

Je m'intéresse depuis quelques neuf mois à ce projet de loi, à titre personnel mais aussi dans le cadre de mon projet professionnel : étudiant en communication électronique à l'université Lumière Lyon 2, j'espère me spécialiser dans le domaine de la recherche et/ou de la consultance autour des insitutions et industries culturelles, et du défi que représentent pour elles les TIC.

Mon but n'est donc pas uniquement de protéger mes intérêts privés de consommateur – et de producteur ! – culturel, mais aussi de voir s'installer un débat serein et exigeant sur la place des TIC dans la culture. Ce débat, j'y participe par exemple sur mon site personnel. Et si ce débat, que l'on a vu déjà tendu, ne peut être serein, qu'au moins il soit exigeant et fructueux ! Force est de constater que, pour l'instant, cela n'a pas vraiment été le cas. Ou plutôt : ce débat a eu lieu dans certains cercles, mais n'a pas forcément atteint le grand public, le législateur, le gouvernement ou même souvent l'internaute.

Je ne reviendrai pas sur les conditions dans lesquelles se sont déroulés les débats sur ce projet de loi. Certains considèrent la récente Commission Mixte Paritaire réunie la semaine dernière comme un dernier affront à la démocratie. S'il est excessif de parler de parodie de démocratie comme ont pu le faire certain, il faut reconnaître que ces débats au parlement ou ailleurs ne se sont pas déroulés – la faute à l'urgence ? – dans la sérénité et la concertation nécessaire.

Je ne reviendrai pas non plus sur les divers aspects de ce projet de loi. Beaucoup restent trop flous pour que l'on puisse en parler clairement, ce qui laisse augurer d'une difficulté d'application énorme, et d'une insécurité juridique très handicapante pour certains acteurs, acteurs commerciaux voulant proposer de nouvelles offres culturelles ou développeurs de logiciels libres.

J'aimerais seulement développer les points suivants :

* l'occasion manquée de l'interopérabilité ;
* avantages et dangers des mesures techniques de protection ;
* comment transcrire la directive EUCD ?

L'occasion manquée de l'interopérabilité

Le principe d'interopérabilité affirmé par les députés à l'issue du premier – et finalement unique – débat à l'Assemblée nationale, a débouché sur un consensus autour d'un principe affirmé d'interopérabilité comme droit du consommateur. Il s'agit d'une avancée conséquente, qui n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes, mais qui dénote un véritable courage politique et un souci de ré-équilibrage du droit d'auteur pour une meilleure protection du public. On trouve dans ce principe d'interopérabilité un des fondements du droit d'auteur, qui est avant tout un équilibre recherché entre les bienfaits attendus pour la société et les incitations économiques pour les créateurs. En quelque sorte, l'interopérabilité applique à la lettre le principe de l'intérêt général.

Il semblerait que l'intérêt général ne soit pas du goût des intérêts particuliers. La réaction violente de la firme américaine Apple l'a démontré fin mars. Mais cela ne doit pas masquer une vérité économique : l'interopérabilité, si elle contrecarre les stratégies de marchés captifs et de vente liée de certains acteurs économiques, profite non seulement aux consommateurs mais aussi et surtout à l'ensemble du tissu économique culturel, en faisant tomber un certain nombre de barrières à l'entrée dans le marché, ou plutôt en unifiant le marché autour de standards ouverts, plutôt que de le laisser morcelé en plusieurs zones d'influence – et d'incompatibilité – des différents formats propriétaires fermés.
Avantages et dangers des mesures techniques de protection (MTP/DRM)

Le cœur de la directive EUCD concerne la protection juridique des mesures techniques de protection (en anglais : DRM pour Digital Rights Management). C'est là la plus grande difficulté de ce projet de loi, qui doit respecter l'esprit de la directive.

Les discussions que j'ai pu avoir avec des juristes et avocats spécialisés en propriété intellectuelle ont révélé leur perplexité – et souvent leur ironie désabusé – devant un système juridique de protection de mesures techniques… mesures elles-même censées faire respecter la protection juridique du droit d'auteur. Beaucoup s'élèvent contre le principe d'une régulation technique automatique et non désactivable qui viendrait remplacer le libre arbitre de l'utilisateur. Et, en effet, le procédé est peu élégant. Pour beaucoup, il est considéré comme un manque de respect flagrant envers le public, et les appels au boycott des produits ainsi cadenassés commencent à fleurir. À titre personnel, j'ai pris la résolution de ne plus acquérir le moindre produit culturel « DRMisé » : une décision certes d'ordre pratique (je ne veux pas courir le risque d'acquérir un produit que je ne pourrai pas lire… ou plutôt, je ne veux plus courir ce risque, qui s'est déjà retourné contre moi à quelques reprises), mais aussi et surtout une position de principe.

Le problème posé par les mesures techniques de protection est qu'elles sont, fondamentallement, non interopérables. Une interopérabilité complète demande des formats ouverts et documentés (si possible validés par un organisme industriel de normalisation), ce que ne sont pas les formats utilisés conjointement aux mesures techniques de protection. Une interopérabilité relative, imparfaite, pourrait être possible si les principaux acteurs commerciaux collaboraient pour faire interopérer leurs divers formats propriétaires – si Microsoft et Apple collaboraient, par exemple… perspective pas impossible mais improbable. Cependant, une telle interopérabilité relative ne serait pas satisfaisante pour l'intérêt général : elle obligerait le passage par un consortium d'entreprises, et empêcherait les consommateurs d'avoir librement recours à des solutions indépendantes telles que les logiciels libres.

Pour rappel, le code source des logiciels libres peut être librement consulté, étudié et modifié. Aucune mesure technique de protection ne peut se satisfaire de telles contraintes, ces mesures techniques reposant justement sur le secret. Pour les utilisateurs de logiciels libres, il n'existe que deux possibilités d'interopérabilité :

* interopérabilité totale dans le cas où les principaux acteurs économiques utiliseraient des standards ouverts pour la commercialisation des contenus culturels (ce qui empêche le recours aux MTP) ;
* interopérabilité « bricolée » dans le cas où les principaux acteurs économiques utiliseraient des formats fermés et protégés, mais où la liberté d'étudier ces formats et mesures techniques dans le but de garantir l'interopérabilité serait garantie par la loi.

Dans la rédaction actuelle du projet de loi DADVSI, si le principe d'interopérabilité est réaffirmé, sa mise en application est réservée au bon vouloir des principaux acteurs économiques. Penser que ceux-ci feront leur possible pour faire interopérer leur formats est un vœu pieu, et l'on peu craindre que les stratégies de captation de marché et de vente liée actuellement à l'œuvre ne se poursuivent. Quant à penser que ces entreprises feront leur possible pour assurer l'accès à leur formats depuis des logiciels et plateformes open-source – trop minoritaires sur le marché des ordinateurs personnels pour représenter un marché à conquérir –, c'est faire preuve de naïveté.
Transcrire la directive EUCD

Il incombe néanmoins à la France de transcrire la directive européenne. Que peut-on proposer pour réconcilier la protection juridique des mesures techniques de protection (stratégie regrettable mais néanmoins imposée par la directive) et le principe d'interopérabilité ?

Je ne suis pas sûr qu'il existe une solution miracle. Les oppositions fondamentales sont trop fortes pour cela. Il serait cependant tout à fait possible d'accorder une protection juridique aux mesures techniques de protection, tout en excluant de l'interdiction de contournement les contournements nécessaires à l'interopérabilités et strictement entrepris à des fins d'interopérabilité.

Bien entendu, cela diminuerait fortement l'impact de la protection. On se retrouverait alors dans la situation où des outils logiciels développés à des fins d'interopérabilité pourraient être réutilisés – surtout s'il s'agit d'outils open-source – à des fins illégales.

Mais :

* le principe de non contournement (sauf besoin exceptionnel et légitime) des mesures techniques de protection serait affirmé ;
* l'interopérabilité serait non pas garantie (elle pourrait demander alors un travail important d'ingénierie inverse, jamais évident à entreprendre), mais au moins autorisée, ce qui revient à respecter a minima le principe d'interopérabilité ;
* le contournement illégal resterait possible pour des personnes informées, ce qui signifie que la dernière protection du droit d'auteur restera le droit d'auteur lui-même : une situation finalement assez saine vis-à-vis des principes démocratiques.

Ce que je propose ici me semble constituer un compromis raisonable, et remplir les conditions de respect de l'intérêt général. Cependant, la rédaction actuelle de la loi DADVSI est loin de remplir ces conditions. Rejeter cette loi, pour retarder encore – au risque de pénalités – la transcription de la directive européenne (directive dont il faut toutefois rappeler que l'Union Européenne envisage fortement de la réformer), est une décision difficile. Je pense cependant, en mon âme et conscience, qu'elle serait le signe d'un véritable courage politique, quels que soient les appartenances politiques des députés qui oseront rejeter ce texte.

J'aimerais achever cette lettre en vous incitant à prendre une décision personnelle, réfléchie, et indépendante des positions officielles de vos partis respectifs quels qu'ils soient – sans renier ces positions, mais sans les accepter comme a priori satisfaisantes. L'exigence démocratique est généralement à ce prix.

Civiquement et cordialement,

Florent Verschelde, étudiant.


PS : désolé pour la mise en page, c'est pas tout à fait ça…
PPS : cross-posted sur les forums de Framasoft.

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