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En 77, Frank Zappa proposait des alternatives libres

Salut,

Une découverte qui me fait ultra plaisir en tant que fan de Zappa et musicien positionné dans sa filiation !! (cf. ci-dessous)
Le titre que j'ai posté est à modérer, mais j'avais pas assez de places pou vraiment décrire la chose. Le texte est un peu long, en particulier au début, mais ça replace un peu le personnage, mais alors les 3 derniers paragraphes sont hallucinants.
Entre ceux qui volèrent au secours du projet de loi Création et Internet visant à sanctionner le téléchargement illégal et les signataires de la « Lettre ouverte aux spectateurs citoyens » hostiles à toute répression, une voix pouvait s'interposer, mais à la condition que l'on retourne, et l'affaire n'est pas mince, la flèche unidirectionnelle du
temps. Car cette voix n'est audible aujourd'hui qu'en stock (LP, CD, DVD) ou en flux (Internet). Frank Zappa a changé de planète le 4 décembre 1993.

À la lecture de The Real Frank Zappa Book (Zappa par Zappa, éditions L'Archipel, 2005), l'autobiographie qu'il publia en 1989, ne rassasie guère les curiosités avides de menues
anecdotes. En revanche, elle renseigne amplement ceux qui voudraient connaître les raisons qui motivèrent le compositeur à ne jamais plier un genou devant la montée du télévangélisme ou le retour de la censure après l'extinction du maccarthysme.

Jamais il n'opposa une culture contre une autre. C'était le prince de l'indifférenciation.

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Au premier de ses actes (Freak Out !, 1966), Zappa avait été l'un des rares à aviser le reste du monde des émeutes de Watts, ce quartier de Los Angeles pillé et incendié par ceux que l'invitation au consumérisme démangeait car ils avaient simplement faim. La
chanson "Trouble Everyday" déchirait le silence et avec elle un article du bulletin d'Internationale Situationniste détaillant l'histoire de la mise à feu et de sa répression.

Frank Zappa est généralement emmailloté dans une double posture. Tantôt il est le potachon caustique qui détourne le Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles en une farce apparente nommée We're Only In It For The Money (mais l'on notera que
pour avoir pleinement accès à cette farce, il est recommandé de lire À la colonie pénitentiaire, une nouvelle de Franz Kafka), tantôt il est ce compositeur né d'une rencontre pour le moins magique avec Edgar Varèse et dont les \234uvres furent dirigées
par Pierre Boulez. Un homme insaisissable croirait-on, mais déterminé dans son accusation contre les plastic people. Seraient-ce les cervelles molles stigmatisées par Bertrand Tavernier qui voudrait que tout soit gratuit hormis la culture ? Les plastic
people ne sont jamais rebelles. Ce sont les file-doux du système, ceux qui favorisent l'accomplissement du rêve le plus fou. Il laisse accroire que l'on ne devient qu'en achetant.

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Zappa n'eut d'autre instinct qu'être lui-même. Il aimait Howlin' Wolf et Igor Stravinsky, William Burroughs et Cordwainer Smith, les monster movies et The Wizard Of Oz. Jamais il n'opposa une culture contre une autre. C'était le prince de l'indifférenciation. On
regimbe à bien le comprendre. Les gens aiment les lignes droites, les corps minces, les pensées fluettes.

Zappa est un monstre. Il respecte le pêle-mêle, les interactions, le mélange des genres. Il consent au mariage du doo-wop et du jazz, aux interpolations de dada et du silence. Le Cabaret Voltaire zurichois vaut autant que John Cage et son ange qui passe. Il est partisan du meilleur et le meilleur chez lui est sans étiquette. Dans son autobiographie, Zappa nous révèle ses talents de petit chimiste et l'on découvre un alchimiste. On a souvent l'impression qu'il a une enjambée d'avance et c'est peut-être ce
qui donne raison à ceux qui le jugent hermétique.

Ils sont dans le temps présent.

Zappa est assurément le grand compositeur de la fin du XXe siècle. Il convient, pour en avoir idée, d'écouter successivement Lumpy Gravy, We're Only In It For The Money, Civilization Phaze III. Une trilogie. Trois voies effaçant les barrières musicales, toute
pensée recluse dans l'étroitesse d'un style, d'une philosophie de porte-monnaie. Et par surcroît, un essai niant l'empire du temps linéaire. Zappa apporte la preuve que l'Art
est supérieur à la Vie. Il envisage que le stock est une option que le flux (rhizomatique, donc deleuzien) soufflera comme un rayon de soleil sur la misère du monde.
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Si l'Art est supérieur à la Vie (mettons que ce soit son allié), Zappa ne saurait concevoir un quelconque arrangement entre le Capital et l'Être (quelle bizarre incongruité en effet !), il ne peut envisager que les plastic people triomphent du songe. À savoir de l'épanchement du songe dans la vie réelle. C'est ainsi que pour lui, du moins le pensons-nous, Gérard de Nerval l'emporte sur Jean-Marie Messier, l'invention continue sur les paradis fiscaux.

Zappa est un ring, un combat permanent. Il y a chez lui cette conviction que tout est ridicule absolument, mais que le ridicule est une poigne susceptible de vous étouffer. Zappa est un minerai d'idées incroyables, inactuelles dirait Nietzsche. Dans The Real Frank Zappa Book, par exemple, il expose une « Proposition de système visant
à remplacer le marché du disque phonographique ». Il envisage que le stock est une option que le flux (rhizomatique, donc deleuzien) soufflera comme un rayon de soleil sur la misère du monde. Il dit que
le commerce classique des disques phonographiques tel qu'il existe aujourd'hui relève d'un circuit aberrant qui consiste pour l'essentiel à déplacer des pièces de vinyle,
enveloppées dans des pochettes en carton, d'un endroit à un autre.
Zappa considère que la vulnérabilité de la gravure vinyle et la problématique du stock impose de penser autrement le marché de la musique
http://www.actualitte.com/actualite/9570-frank-zappa-autobiographie-inv/enter-itunes.htm .

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Son programme :
Nous proposons d'acheter les droits de reproduction numérique DES MEILLEURES OEUVRES de fond de catalogue que les maisons de disques peinent à écouler, de les centraliser sur un serveur, puis de les connecter par le téléphone ou le câble directement au magnétophone de l'utilisateur.
Lequel utilisateur aurait le choix entre un transfert direct numérique sur F-1 (le DAT de SONY), sur Beta Hi-Fi, ou sur un autre support analogique ordinaire (\205) Ce qui
contribuerait à redonner aux albums, sous des dehors électroniques, leur statut initial d' « albums » tels qu'ils sont aujourd'hui proposés dans les différents points de vente, tant il est vrai que bon nombre de consommateurs aiment caresser les pochettes, objets de fétichisation, quand ils écoutent de la musique.

Dès lors, le potentiel tactile fétichiste (PTF) est préservé, réduit du coût de distribution du cartonnage.

Au moment où vous lisez ces lignes, la quasi-totalité de l'équipement requis est disponible dans les magasins ; il ne vous reste plus qu'à brancher le tout et mettre ainsi fin au marché discographique que nous connaissons aujourd'hui ».

Il y a vingt ans, Zappa planifiait les réseaux de pair à pair (peer to peer) comme alternative au marché discographique submergé. Et il est bien vrai que la totalité des oeuvres musicales n'est visible nulle part. Qui n'a cherché en vain dans les bacs des disquaires le CD d'un artiste pas toujours underground, inscrit en pure perte tel nom d'album sur un site d'achat en ligne ? À l'évidence, l'édition phonographique est dans l'incapacité de répondre aux demandes les plus fines. Question de rentabilité, mais au détriment du nuancier culturel qui doit proposer l'ensemble des couleurs, la globalité des
possibles de l'art.

Il y a vingt ans, Zappa planifiait les réseaux de pair à pair (peer to peer) comme alternative au marché discographique submergé.

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Celui qui s'était vu refusé par la compagnie Warner la réalisation d'un coffret 4 disques intitulé Läther avait montré, en décembre 1977, qu'il possédait un sens aigu de l'alternative. Puisque Warner s'était ingénié à débiter en tranches de saucisson un opus cohérent (et cela donnerait Zappa In New York, Studio Tan, Sleep Dirt et Orchestral Favorites), Zappa offrirait gratuitement le programme qu'il avait pointilleusement monté. Sur les ondes de la station Pasadena KROQ, il diffuse la version exacte de Läther après avoir déclaré au micro :
C'est Frank Zappa, je suis votre disc-jockey temporaire, prenez votre petit appareil à cassette et enregistrez cet album qui ne sera peut-être jamais disponible pour le grand public.

Il n'est pas tout à fait certain que Frank Zappa eût approuvé le téléchargement illégal, mais cet ardent défenseur des libertés, actif contre le labeling (Parental Advisory : Explicit Content), soit le sticker apposé sur les supports (LP, CD, DVD) afin de signaler une supposée atteinte aux règles morales, n'aurait jamais embarqué sur un paquebot d'artistes convaincus que le droit d'auteur sera défendu au sein d'une société devenue un traquenard pour les aventuriers du Nouveau Monde numérique.

Compositeur, entertainist, auteur de chansons-pamphlets, cinéaste, guitariste remarquable, Frank Zappa (1940-1993) s'était, il est vrai, doublement engagé. D'une part, dans le déplacement des cloisons qui séparent les styles musicaux afin que la pensée
respire. D'autre part, dans une lutte permanente contre la bureaucratie et ses toiles d'araignée qui compriment toujours plus la vie libre.


Guy Darol

Auteur d'une dizaine de livres dont plusieurs ouvrages consacrés
à Frank Zappa, André Hardellet et Joseph Delteil, journaliste à
Muziq, Jazz Magazine et Le Magazine des Livres, après avoir
collaboré au Magazine Littéraire et à Libération, Guy Darol
vit près de Morlaix. Retrouvez sur http://www.guydarol.fr Frank Zappa, est son dernier livre, publié
au Castor Astral, collection Castor Music, 2009.

Réponses

  • salut wlad

    Merci de ce post ; effectivement zappa a été visionnaire.

    Voulais dire aussi que j'écoute fréquemment sebkha-chott et boudiou c'est du lourd ; j'adore !

    didier
  • salut wlad_Sebkha-Chott
    j'avais lu ça effectivement dans une bio de zappa

    il a une intuition géniale (et pas qu'une d'ailleurs, il en a eu un paquet d'intuitions :) : l'invention du peer to peer, et plus globalement l'idée que les flux de données numériques pourraient être consacrés à la circulation et la dissémination des oeuvres musicales. Commencer par diffuser l'intégralité de son disque à la radio et inviter les auditeurs à l'enregistrer sur K7 audio, et ça effectivement, c'est une préfiguration des licences libres (partiellement en tous cas).

    ce qui aurait pour effet de bousiller (partiellement) le système du bisness discographique.
    au-delà de l'admiration que j'ai pour ce type (enfin surtout pour ces disques des années 60-70 et ses apparitions télé délirantes et joyeusement subversives et sa culture infinie) : c'est intéressant de voir qu'au fond les problématiques qu'il soulevait sont les mêmes qui se posent aujourd'hui, et que du point de vue de vue du système discographique, ben on voit bien que ça les emmerde encore les flux numériques.

    y'a quand même un truc par rapport au marché en général et à celui des objets culturels en particulier et surtout celui de la musique.. C'est que ce bisness est né grâce d'une part à l'invention de l'enregistrement de la musique - c'est-à-dire la possibilité de graver sur un support la "trace" d'une performance musicale. Et d'autre part à l'invention de supports commercialisables et d'appareils pour les écouter susceptibles d'être acquis par n'importe quel consommateur (le 78 tours et le phonographe).
    Bref il y a un lien originel entre le marché et ces objets tout à fait matériels qui me parait tout de même décisif, encore aujourd'hui.

    Qu'est-ce que devient le marché de la musique quand les flux numériques sont devenus aptes à accueillir et faire circuler en l'absence de supports d'enregistrements ? Comment ce marché peut encore engendrer du profit ? ben il n'y a pour le moment que deux moyens : ou bien on fait payer l'accès à cette partie du flux numérique où sont logés les oeuvres mais.. on voit bien que ça ne marche pas, parce que de toutes façons, il est dans la nature pour ainsi dire des flux d'être des flux justement, de ne jamais cesser de se répandre, de se glisser dans nos tuyaux.. ou bien on capte des revenus grâce à des produits dérivés, de la publicité notamment. ce qui n'a plus aucun rapport avec la musique en tant que telle.

    du coup : la musique n'est plus dans l'esprit du bisnessman qu'un produit d'appel en vue d'augmenter les revenus de la publicité..
    c'est là où nous en sommes..

    le mystère pour moi qui ne suis pas au fait des stratégies des start up à la jamendo et consorts : c'est pourquoi il existe des entreprises et des marques pour continuer à investir de la pub dans tous ces sites webs et ces médias.. est-ce que ça en vaut vraiment la peine ces investissements en pubs ? est-ce que, ça rapporte vraiment tant que ça ? est-ce qu'ils savent encore pourquoi ils font de la pub d'ailleurs ? ou n'est-ce qu'une sorte de loi non-écrite inhérente au néo-capitalisme ? c'est bizarre..
    toutes ces plates formes internet et tous ces médias dont la viabilité financière repose non pas tant sur les oeuvres musicales que sur leur capacité à attirer des publicitaires et des investisseurs (eux mêmes attirés par les revenus de la pub), quelle peut-être leur durée de vie ?
    On peut très bien imaginer qu'un de ces jours tout cette dimension du marché où on ne vent pas des choses mais des encarts publicitaires vantant le mérite de choses, tout cela s'écroule..
    ça arrive souvent d'ailleurs qu'une start up internet se viande en quelques mois, parce que les publicitaires se sont détournés de cette fenêtre là..
    et comment peut-on espérer fonder une politique de la musique (cf. les projets récents hadopi et consorts) sur ce genre de modèle là ??


    alors que dogmazic, ben y'a fort à parier qu'on sera encore là dans des années..

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